Jeudi 11 Juin 2009 – Blandine et moi sommes présents à un vernissage d'une exposition sur les Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale, au musée des religions de Lviv. Nous y croisons Meylakh Sheykhet (voir l'article Meylakh Sheykhet - Un combat pour l'héritage juif de Lviv) que nous avions déjà rencontré auparavant. Il nous invite pour le lendemain à l'accompagner sur un site de fouilles archéologiques d'un cimetière juif.
Le lendemain, nous nous enfonçons dans la campagne Lvivoise. Notre destination : Zhydachiv, une petite ville d'environ 12000 habitants à 60 Km au sud de Lviv. Arrivé sur place, le lieu est surprenant, passé le centre ville, toutes les maisons semblent avoir des poules, des chèvres, un potager... Les animaux se baladent souvent en liberté on croise de temps en temps un paysan conduisant une charrette hors-temps, tirée par un cheval. Nous faisons un tour par le marché afin de nous munir d'une paire de chaussons pour accéder au site archéologique. L'image d'un homme tout de noir vêtu en tenue traditionnelle juive, choisissant des chaussons, hésitant sur la couleur et demandant des conseils d'esthétisme à la vendeuse est assez surprenante et les gens du marché semble amusés, ou parfois froids et secs mais ne semblent pas agressifs.
Non loin de là, à la limite des dernières maisons, se trouve un vieux garage abandonné comprenant notamment une petite colline au sein de son enclos. Meylakh Sheykhet nous fait entrer par une grille, dans l'arrière champs du garage qui devait vraisemblablement servir de terrain de stockage de pièces de voitures. Nous gravissons la colline que surplombent deux étranges petites chapelles semblant être plus récentes que ce garage. Un coup d'œil des environs nous confirme la beauté idyllique du panorama qui s'offre à nous
Panorama depuis le haut de la coline
Un coup d'œil en arrière et cette colline n'est pas si petite que ça. D'en haut, nous pouvons apercevoir les maisons les plus proches derrière le garage. Certaines d'entre elles semblent d'ailleurs plus vielles que ce garage datant de l'époque soviétique. Le terrain est grand, il fait environ 120 mètres par 120 à l'intérieur du quel il comprend cette colline dont la hauteur agrandi encore davantage la surface.
Le cimetière était grand.
M. Meylakh nous explique qu'il y avait à cette endroit un cimetière juif. L'enclos qui entoure la colline n'était pas celui du cimetière. Celui-ci s'étendait au sud et à l'ouest jusqu'à la route, 50 mètre au-delà du garage, en direction du village. On sait peu encore sur ce qui s'est passé. Les Allemands sont arrivés ici, en 1942 et ont fait sauté le cimetière (peut-être à la grenade, peut-être l'ont-ils bombardé...). Ensuite, après la guerre, la municipalité soviétique a fait construire ce garage sur le cimetière et ce dernier fut oublié durant des décennies jusqu'à l'indépendance de l'Ukraine. Un vieux juif était alors arrivé et avait dit qu'il y avait ici avant la guerre, un cimetière juif, avec deux chapelles en haut de la colline, abritant les tombes d'éminents protagonistes de la communauté juive de Zhydachiv d'antan. La nouvelle communauté juive des environs racheta le terrain et fit donc construire deux petites chapelles avec à l'intérieur, des tombes factices en mémoire de ces personnes. Plus tard, après quelques recherches, nous avons fini par comprendre l'importance de ce site.
Monsieur Meylakh a donc récemment réuni une équipe de jeunes des environs de Zhydachiv pour réaliser des fouilles archéologiques sur ce site. Les moyens sur place sont rudimentaires, les méthodes parfois peu conventionnelles malgré les efforts de Meylakh et de son coéquipier Roman pour former aux gestes basiques des jeunes dans ce travail aussi fastidieux que minutieux. Faute de moyens, le système débrouille est de mise.
Meylakh Sheykeht apprend à un jeune de Zhydachiv les techniques de fouille
Découverte d'une broche par un archéologue en herbe
Au cours des journées en notre présence, quelques objets seront trouvés : une broche, plusieurs pièces de monnaie dont certaines datant de 1859... nous confirmant l'idée que les origines de ce cimetière étaient bien antérieures au XXe Siècle.
En effet, après quelques recherches menées de notre côté, nous commençons à en savoir un peu plus sur les origines de ce cimetière et de cette communauté. On estime l'arrivée des premiers Juifs à Zhydachiv dans le milieu du 15e Siècle1, nous savons par quelques recherches que le cimetière datait de la deuxième partie du XVIIe Siècle, alors qu'une première synagogue, en bois, fut mise en fonction en 17272. Date qui correspond à l'époque où les Juifs de la ville commencèrent à s'organiser en communauté indépendante (18e siècle)1, soit plus de deux siècles avant l'invasion nazie.
À la veille de la Seconde Guerre Mondiale, la population juive de Zhydachiv représentait 22% de la population totale, contre 45 % d'Ukrainiens et 30% de Polonais sur un total de 4200 habitants2. La communauté juive faisait donc partie intégrante de la vie de cette ville. Plus encore, nous découvrons alors que Zhydachiv était le foyer d'une dynastie très célèbre de Rabbins (Tzadiks *) fondateurs d'un courant hassidique : la dynastie Zhidachov. Ce courant fut fondé par le rabbin théologien Tzevi Hirsh Eichenstein (1785-1831)1, premier d'une lignée de huit générations perdurant bien au-delà de la Seconde Guerre Mondiale et disséminée aujourd'hui dans le monde entier3,4 et notamment aux USA
Il est selon nous important d'insister sur ce point. On a tendance, dans notre mémoire collective à réduire systématiquement notre représentation de la communauté juive aux années d'avant guerre et durant la Seconde Guerre Mondiale. Il me paraît crucial de combattre cette fausse idée. Les juifs ont habité les pays d'Europe bien longtemps avant cette période et il nous faut reconsidérer notre chronologie inconsciente.
Lorsque nous parlons de la vie juive en Galice, celle-ci faisait partie intégrante du paysage, de la vie de la population dans sa globalité souvent depuis plusieurs siècles (L'imposante synagogue “ Golden Rose ” à Lviv - détruite par les Nazis en 1942 - fut construite en 1582-1585, quatre siècles et demi plus tôt ; quant au plus vieux cimetière juif de Lviv – qui, aujourd'hui, est un marché – son apparition datait du Moyen-Âge). Les objets retrouvés à Zhydachiv, sont de rares trouvailles extrêmement précieuses car seuls témoins de siècles d'histoire, de culture et de vie qu'on oublie d'inscrire dans notre histoire, dans nos origines, dans nos cultures.
Les fouilles du cimetière de Zhydachiv dureront tout l'été. La colline entière aura été fouillée et de nombreuses tombes répertoriées.
Les sculptures sur les tombes laisse imaginer la beauté de l'ouvrage - cliquez sur la photo pour zoomer
Sous les chapelles, à l'endroit où ce dressaient deux autres chapelles il y a encore 70 ans, l'équipe de Meylakh à trouvé 7 tombes.
Une pierre tombale verticale brisée par les nazis - la petite chapelle en arrière plan
Les fondations d'une tombe apparaissent sous la grande chappelle
Les expertises ce poursuivent pour identifier précisément pour qui ces tombes on été dressées. La probabilité que l'une de ces tombes soit celle du père fondateur de la dynastie Zhidachov (Tzevi Hirsh Eichenstein) est grande, les autres abritant certainement les corps de ces descendants. Une chose est sûre, c'est que Meylakh Sheykhet s'est déjà mis en quête de retrouver les descendants actuels vivant au USA où en Israël et brasse ciel et terre pour pour que la communauté internationale juive l'aide à poursuivre ces fouilles et rendre sa mémoire à ce lieu sacré.
panorama 360° du cimetière et des fouilles au pied des deux chappelles - cliquez sur la photo pour zoomer
Depuis de nombreuses années, Meylakh Sheykhet sillonne la Galicie et l'Ukraine tout entière à la recherche de lieux comme celui-ci, détruits lors de la Seconde Guerre Mondiale, et oubliés voir tout bonnement éliminés sous l'époque soviétique. Membre de l'association ZAKA (Association entre autre fondée pour donner une sépulture décente et conforme à la tradition juive aux victimes des meurtres de masse, des catastrophes naturelles, attentat...), il s'est donné la mission de mettre au jour l'existence de ces lieux juifs sacrés d'Ukraine, et d'y poser une plaque commémorative pour perdurer leur mémoire et faire connaître l'existence et le rôle des Juifs au sein de la vie des populations d'Europe Centrale et de l'Est. Des lieux comme Zhydachiv, il en a mis au jour des dizaines, employant la population locale pour les fouilles, travaillant aussi avec les archéologues de la région.
Jeunes et moins jeunes de la ville de Zhydachiv embauchés pour les fouilles archéologiques
Par cette manière de travailler, Meylakh Sheykhet mène en même temps trois autres combats : - Il permet aux populations locales (jeunes pour la plus part) de travailler. - Il casse souvent de nombreux stéréotypes sur les Juifs grâce aux rapports directs qu'il entretient avec ces ouvriers et les gens du voisinage. - Enfin, il apporte à ces gens une meilleure connaissance de l'histoire de leur ville dans laquelle la population juive joua souvent un rôle important.
Matthias Crépel
* Tzadiks : Selon la tradition du judaïsme, cette appellation sert également de titre et désigne un rebbe, ou maître spirituel, dans le hassidisme.
1 The Encyclopedia of Jewish Life Before and During the Holocaust: Seredina-Buda-Z par Shmuel Spector, Geoffrey Wigoder
2 http://en.wikipedia.org/wiki/Tzvi_Hirsh_of_Zidichov
3 http://en.wikipedia.org/wiki/Zidichov_%28Hasidic_dynasty%29
4 http://en.allexperts.com/e/z/zi/zidichov_%28hasidic_dynasty%29.htm
Après chaque journée passée sur un chantier, Meylakh Sheykhet allume une bougie, en mémoire des âmes sans repos de son peuple.