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22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 19:59

Une pierre tombale sous mes pieds comme pièce de notre puzzle

      

         Lorsqu'on se ballade dans les rues de Lviv en ouvrant des yeux interrogateurs, à l'affut de pièces d'un puzzle et ignorant la forme qu'elles ont, on trouve toujours.

         Nous sommes à la mi-juillet. Aujourd'hui, je décide de partir faire une session photo dans le vieux Lviv, pour récolter des images de marques restantes de la vie juive d'avant guerre, à l'endroit où se trouvait jadis le riche quartier juifs, dans le centre ville historique. Je connaissais quelques marques, les plus connues, celles qu'on présente à tous les touristes comme preuve de la présence juive dans le centre-ville. C'était précisément ces marques que je souhaitais photographier de mon œil.

            Ce travail laborieux, muni du trépied, se déroule tout à fait normalement sous l'œil septique ou parfois curieux des riverains.

            Cherchant méthodiquement ces marques (principalement des Mezuzoth*) à chaque porte, je garde tout de même un œil sur les murs - ayant entendu qu'on avaient utilisé sous l'époque soviétique les stèles d'un cimetière juifs pour construire des immeubles – on ne sait jamais. Je me concentre alors sur de vagues reliefs de pierres à demi cachés par du crépis, espérant y avoir trouvé quelques sculptures révélatrices de la présence d'une pierre tombale. Ces détails étant bas, j'offrais une vision assez loufoque, allongé parterre au beau milieu de la rue Starojevrejska (rue du vieux juif), m'affairant à prendre une photo d'un morceau de mur abîmé et sans intérêt.

Golden-Rose.jpg            Ma position pourtant ne troubla pas le moins du monde deux vielles dames qui vinrent me tapoter l'épaule. L'une d'elle me demande ce que je fabrique... puis elle me coupe la parole et me tire par le bras en me disant : “ Tu cherches des marques juive ? Ça, c'est rien, viens avec moi, je vais t'en montrer moi des marques ”. Me conduisant quelques dizaines de mètres plus loin, nous nous arrêtons devant la place qui borde les ruines de la synagogue de la Rose Dorée**. Là, les deux vielles dames se mettent à marcher en regardant à leur pieds, suivant méthodiquement les rangés de dalles qui quadrillaient la place. Ce faisant, la plus communicative m'explique dans un mélange de polonais et d'ukrainien que je peine à comprendre qu'elle était là, qu'elle à vu ce qui c'est passé ici. Je lui demande si elle était là pendant la guerre, elle me répond que de la guerre, elle ne se souvient que de peu, mais elle se souvient des ruines, de la synagogue qui gisaient à l'endroit même où nous marchons aujourd'hui***. Elle se souvient d'avoir vu les Russes construire cette place (je n'ai pas su m'exprimer pour lui demander qui étaient ces “ Russes ”).

A droite : au premier plan les voitures garées sur cette place, au deuxième plan les ruines de la synagogue "Rose Dorée" (arcades) et en arrière plan le clocher d'une église gréco-catholique.

Ci-dessous : la première dalle que nous découvrons

Premiere-dalle-copie-2.jpg            Nous tombons alors sur une dalle un peu différente. Toute agitée, elle me la montre du doigt, me disant qu'il y en avait partout sur cette place, que si on cherche bien, on peut en trouver d'autres. Sur cette dalle, encore nettement visible, se détachent les reliefs sculptés de deux écritures bien distinctes.

            La première latine, est un nom : JAKOB. La seconde écriture est en hébreu. Cette dalle mesure environ 25 x 35 cm. Le bord gauche est d'origine (ici tronqué sur l'image) et une rainure semble encadrer les écritures. Les autres bords sont fait de cassures. Il est difficile d'évaluer la forme et la taille originale de cette dalle. Ce qui ne fait pourtant aucun doute, c'est que nous avons à faire à une pierre tombale. Mais déjà, les deux vielles dames continuent à chercher d'autres marques et nous en trouvâmes quelques unes. Une demi-heure nous suffit à dégoter 4 ou 5 marques du même style sur le sol de cette place utilisée aujourd'hui comme parking.



Ci-dessous à droite : seconde dalle découverte. Par la forme que dessinent les écritures situées le plus en haut (une sorte de cercle), nous pouvons en déduire la taille aproximative de cette pierre tombale. Cette dalle mesurant environ 25 cm de large, on peut estimer que la largeur de la pierre tombale était d'un peu plus d'une 50aine de centimètres.


 

 

 

 

Deuxieme-dalle.jpg

            La vieille dame m'explique encore que dans sa jeunesse, il y avait plus d'inscriptions, on y voyait des dizaines de dalles comme ça, elle me raconte avoir vu des gens frotter le sol pour effacer ces marques... Elle est Ukrainienne, né à Lviv peu avant la guerre. Je lui demande si elle accepterait d'être interviewée, filmée, mais elle refuse catégoriquement. Après quelques mots encore, les deux dames s'en retournent à leur occupation et je continue ma session photographique.

Parterre-dalle.jpg

Cliquez sur la photo pour l'agrandir - sur cette photos, 2 pierres tombales sont distinctes : la dalle la plus en bas à droite (en gros plan ci-contre à droite) et la grande dalle verticale au bord gauche biseauté se trouvant en seconde position en partant de la gauche, dans la rangé du milieu. Comme échelle, nous pouvons nous référer au marches d'escalier sur le haut de la photo (à l'époque, l'entrée de la synagogue mitoyenne à la "Rose Dorée".


Ci-dessous : cette fameuse place lors du festival de musique juive de Lviv. on y voit l'ancienne porte de la synagogue mitoyenne (faisant le coin avec l'immeuble blanc) puis le restaurant "juif" Pid Zolotoyu Rozoju sur le quel vous retrouverez un article en cliquant sur cette phrase lien.  A droite, derrière les arbres, se trouvent les ruines de la synagogue 'Rose Dorée".

Festival.jpg

 

            Malgré une barrière des langues très handicapante (je parlais un peu le polonais et peu l'ukrainien), différence de nationalité, différence d'âge... cela n'a pas empêché cette vieille dame de venir me parler d'elle même et me faire part de son témoignage du passé. Au cours de notre conversation, elle me dit qu'elle se souvient des Juifs d'avant guerre, et qu'elle jouait avec des enfants juifs. Ils ont disparut, c'est tout ce qu'il reste, des dalles pavant un parking. Je regrette de n'avoir pas eu ma caméra avec moi. Ma compréhension était plus approximative par moment et j'avais tant d'autres questions à poser que je n'ai pas su placer, ou auxquelles je n'ai su obtenir de réponses compréhensibles.

            Cette rencontre est en partie représentative du problème de transmission de la mémoire en Ukraine, particulièrement à Lviv, encore plus spécifiquement à propos de l'histoire de la communauté juive avant et pendant la guerre. Au cours de nos investigations, nous nous sommes rendu compte que tout n'avait pas totalement disparu. En cherchant, en insistant, en rusant dans notre enquête, mais le plus souvent en montrant simplement de l'intérêt à ce sujet, nous avons réussi à percer l'abcès du silence, nous avons récolté une quantité impressionnante d'informations, à droite à gauche, éparpillées, pièces du puzzle de l'histoire de la communauté juive de Lviv, au long du XXe Siècle, que nous tentons de réunir et d'assembler, les unes aux autres. Le problème n'est pas que les gens ne veulent pas raconter, cachent et taisent ce qu'ils savent, mais plutôt que personne ne leur demande, et que peu s'y intéressent.

            Par la suite, nous remonterons cette piste des pierres tombales par différentes sources pour enfin comprendre et mettre bout à bout les pièces spécifiques à cet épisode dont chacun des porteurs de la mémoire juive de Lviv ne semble posséder qu'une partie du puzzle. Ces stèles appartiennent vraisemblablement à l'ancien cimetière médiéval juif du quartier Krakiwski. Ce cimetière fut détruit par les nazis, qui en utilisèrent les pierres verticales pour paver les routes, quand au pierres horizontales, les soviétiques les utilisèrent également pour construire des immeubles, et le socle de la statue de Lénine érigée sur la place de l'opéra de Lviv, déboulonnée en 1991. À l'emplacement de ce cimetière se tient de nos jour un marché, le marché Krakiwski, apparu sous l'époque soviétique.

            Ces pierres qui dallent la place du quartier juif du centre historique de Lviv ne sont pas les seuls restes de l'ancien cimetière. Dans un prochain article consacré au cimetière Krakiwski, nous nous efforcerons de vous présenter nos découvertes et faire la lumière sur les événements qui amenèrent un des plus vieux et plus prestigieux cimetières de Lviv, à devenir l'un des principaux marchés de la ville, et dont personne ne semble vraiment avoir conscience d'un tout autre passé.

 


Matthias Crépel


* La mezouzah ou mezuzah (hébreu  : מזוזה, linteau de porte ; plur. mezouzot ou mezuzoth) est un objet de culte juif, qui consiste le plus souvent en un rouleau de parchemin comportant deux passages bibliques (de la Tora), emboîté dans un réceptacle, et fixé au linteau des portes d'un lieu d'habitation permanente, à l'exclusion des lieux d'aisance et de rangement.

**  L'imposante synagogue “ Golden Rose ” à Lviv - détruite par les Nazis en 1942 - fut construite en 1582-1585, quatre siècles et demi plus tôt. Pour de plus amples détails sur le site de cet endroit sacré dans le paysage lvivois d'aujourd'hui, vous pouvez consulter l'article Pid Zolotoyu Rozoju, un restaurant juif controversé

***  Sur cette place se trouvait une synagogue mitoyenne à la prestigieuse synagogue la Rose Dorée. Nous disposons actuellement de peu d'information sur cette autre synagogue. Elle semble avoir été brulée par les nazis à peu près à la même époque que la Rose Dorée.


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